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La déjudiciarisation de l’habilitation familiale : un bienfait pour les tribunaux mais à quel prix?


Par BARADJI Mandha Publié le 03/01/2023



Pour CARBONNIER, « La famille est le berceau de la protection ». C’est avec cette citation qu’a débuté le colloque intitulé « L’habilitation familiale : Bilan et perspectives », qui s’est tenu au sein de l’Université de Bordeaux, le 28 octobre dernier.

Cette mesure de protection, entièrement orientée vers la famille, soulève de nombreuses questions et il était temps qu’un bilan sur l’efficacité et les risques de cette mesure puisse être réalisé par les enseignants et praticiens du droit présents.



Une mesure avant tout familiale


Le vieillissement de la population et le nombre de personnes à protéger a conduit le législateur à créer l’habilitation familiale, avec l’ordonnance du 15 octobre 2015. Le Professeur Gilles Raoul-Cormeil a ouvert le colloque sur une métaphore intéressante pour la décrire : c’est une tutelle adoucie. Du moins, tel était son visage en 2015. En effet, depuis la loi du 23 mars 2019, elle peut être fondée sur l’assistance et donc être en concurrence directe avec la curatelle.


L’habilitation familiale est une mesure de protection prévue aux articles 446-1 et suivants du Code civil qui permet au juge des contentieux et de la protection d’habiliter un proche d’une personne qui se voit hors d’état de manifester sa volonté. La personne habilitée, un membre de la famille sera chargé de la représenter ou de l’assister pour réaliser des actes en son nom et pour son compte. Le code civil détermine précisément les personnes qui sont susceptibles de saisir le juge des tutelles - hormis le majeur à protéger lui-même - et d’être habilitées : le conjoint, le partenaire pacsé ou le concubin, à condition que la communauté de vie demeure, les ascendants ou descendants, les frères ou sœurs. Les nièces et neveux sont exclus. L’habilitation familiale permet une représentation pour certains actes, toutefois les actes effectués à titre gratuit font l’objet d’une autorisation judiciaire préalable. Il en va de même pour la vente du logement de la personne protégée ou en cas d’opposition d’intérêts entre le majeur et la personne habilitée.


Une telle mesure peut être demandée au juge des tutelles sous la forme d’une requête lorsque le majeur à protéger se trouve dans l’impossibilité de pourvoir seul à ses intérêts en raison d’une altération médicalement constatée de ses facultés mentales ou corporelles.


L’ouverture d’une telle mesure nécessite la réunion de plusieurs conditions similaires aux autres mesures que sont : une nécessité ; une subsidiarité, une proportionnalité et enfin, propre à elle-même : l’adhésion des membres de la famille. Si le juge est présent à l’ouverture de la mesure, il est en principe absent pour la suite et se dessaisit du dossier.


Sept années plus tard, l’habilitation familiale connait un franc succès ! À l’échelle nationale, on compte plus de 13 000 mesures ouvertes en 2017 et plus de 38 000 aujourd’hui. Un réel succès, mais à quel prix ?


La famille pour le meilleur et pour le pire :

Cette mesure de protection repose entièrement sur un ou plusieurs membres de la famille, chargé de la gestion des biens et/ou de la personne du protégé.


Pour assurer une bonne application de cette mesure, le juge des tutelles doit constater une bonne entente entre les membres de la famille. A contrario, lorsque la personne à protéger exprime une certaine défiance à l’égard de ses proches ou qu’une mésentente est visible au sein de la famille, il conviendra de s’orienter vers une mesure judiciaire, par exemple une tutelle.


L’engorgement des tribunaux, le coût des mesures judiciaires ont ainsi conduit le législateur à se tourner de nouveau vers la famille de la personne à protéger. Madame Anne Caron-Déglise, avocate générale près de la Cour de cassation rappellera ainsi l’importance de l’article 415 du Code civil :


« Les personnes majeures reçoivent la protection de leur personne et de leurs biens que leur état ou leur situation rend nécessaire selon les modalités prévues au présent titre.

Cette protection est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne.

Elle a pour finalité l'intérêt de la personne protégée. Elle favorise, dans la mesure du possible, l'autonomie de celle-ci.

Elle est un devoir des familles et de la collectivité publique. »


Si cette mesure de protection apparaît plus simple que les mesures judiciaires, elle continue d’être complexe pour ceux qui sont étrangers à la pratique juridique. L’information donnée aux familles par des professionnels du droit tels que les avocats, est essentielle. Pour autant, leur place demeure modeste en cette matière, alors que le droit positif garantit le droit d’être conseillé, assisté et défendu par un avocat.


Durant ce colloque, les avocats ont fait part de leur désarroi face à leur absence dans cette procédure, et plus généralement en matière de protection des personnes vulnérables. La présence d’un avocat est toutefois nécessaire pour assurer la défense des intérêts de chacun et en particulier face à des personnes vulnérables. Pourquoi l’avocat est-il absent alors que l’audition du majeur protégé devant le juge des tutelles est en principe obligatoire pour ouvrir une telle procédure ?


Les professionnels du droit, notamment les notaires peuvent être amenés à conseiller l’habilitation familiale pour certains de leurs clients et à aider les familles dans la rédaction de leur requête. Plus largement, dans le cadre d’une vente ou d’une donation notamment, ils peuvent être amenés à s’interroger sur la capacité de leur client à réaliser certains actes. Face à un doute sur la capacité de la personne, ils peuvent l’orienter vers un médecin pour constater leur aptitude à consentir ou pour rédiger un certificat médical indispensable à toute ouverture d’une mesure de protection.


Manque de contrôle et intérêt du majeur à protéger :


L’habilitation familiale, à l’inverse des autres mesures de protection (tutelle, curatelle renforcée), n’impose aucun inventaire ou contrôle des comptes : il n’existe aucune surveillance de la bonne application de cette mesure.



L’absence totale de contrôle n’est-elle pas une porte ouverte aux abus de la part de la personne habilitée ?


L’habilitation familiale est entièrement fondée sur la confiance envers la famille et les risques de dérives existent. L’article 494-9 du Code civil sanctionne toutefois les actes irrégulièrement réalisés et le juge peut toujours prononcer la révocation de l’habilitation familiale.

La place du juge demeure indispensable, notamment en cas d’actes à titre gratuit. C’est dans cette idée que la Cour d’appel de Paris a pu rappeler qu'il ne peut être autorisé par le juge une donation ne relevant pas d’une volonté clairement exprimée par le majeur protégé mais répondant aux seuls motifs fiscaux et successoraux propres aux bénéficiaires et non à l’intérêt du majeur protégé.



Fin de mesure, et ensuite ?


L’article 494-10 du Code civil rappelle que le juge des tutelles peut être saisi par tout intéressé ou par le procureur de la République lorsque la mesure n’assure pas suffisamment les intérêts du majeur. Si le contenu de l’habilitation familiale peut être modifié, la mesure peut également être révoquée. Les suites sont très incertaines pour le majeur : ouverture d’une mesure judiciaire ; mainlevée de la mesure ; action en responsabilité contre la personne habilitée …


L'habilitation familiale comporte ainsi des risques et peut se révéler peu protectrice pour les majeurs vulnérables. Elle suit ainsi les affres des relations familiales et peut être la meilleure, comme la pire des mesures de protection. Les forces et les faiblesses de cette mesure de protection remettent au-devant la scène l’intérêt d’une autre mesure d’anticipation : le mandat de protection future…

​⚠️ Actualité juridique ⚠️


Avis de la Cour de cassation du 20 octobre 2022 n° 22-70011 : sur la renonciation à la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie.


Les actes interdits en matière de tutelle, prévus par l’article 509 du Code civil, sont-ils transposables en matière d’habilitation familiale générale par représentation, notamment à la lumière de l’article 494-6 du Code civil ?


La haute juridiction répond positivement : les dispositions de l’article 494-6 du Code civil relèvent que l’habilitation ne peut porter que sur les actes que le tuteur peut accomplir, seul ou avec une autorisation. Elle ajoute que la nécessité pour la personne habilitée d’obtenir l’autorisation du juge pour un acte où il serait en opposition d’intérêt ne lui confère pas le pouvoir d’agir en dehors des limites fixées.



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